Expr. perso. : peut-on rire de tout ?

          Le rire français s’inscrit dans une tradition séculaire. Il peut être gaulois, grivois ou encore relever d’une tradition plus intellectuelle et critique dans la lignée des Lumières. Il peut être franc et direct, ou beaucoup plus subtil et indirect.

    Finalement, il est protéiforme et semble ne connaître aucun interdit. Pourtant, la question est sans cesse remise en débat : peut-on rire de tout ?

 

 

         Dans l’absolu, on doit pouvoir rire de tout. Le rire est l’expression la plus simple de la liberté d’expression. D’ailleurs, les dictatures comme celle des Talibans en Afghanistan, il y a quelques années, ne s’y trompent pas et l’interdisent. En France, au 17ème siècle, le parti des Dévots n’a pas supporté les attaques et la satire de Molière contre leurs excès.

        1 Le rire a alors été censuré : la pièce de Tartuffe a été interdite. Si Montesquieu et Voltaire, illus­trant le combat des Lumières, n’ont pu critiquer le pouvoir, la religion, la société que par le biais de l’ironie et en publiant leurs œuvres sous le manteau, c’était pour obtenir cette liberté de tout dire.

         Rire de ce qui fait peur ou de ce qui est tabou est communément    admis : la mort, la maladie, le sexe sont aujourd’hui des sujets constamment repris dans les sketchs, les one-man-shows, mais on les retrouve dans toute l’histoire du rire.

 

2 Pourtant, ces sujets graves peuvent poser problème sur plusieurs plans. Sur le plan juri­dique, le droit à la critique et à la caricature garantit l’activité des satiristes et des humo­ristes mais le rire dont l’objet est la religion peut encore aujourd’hui susciter des réactions violentes : on se souvient de l’affaire dite des « caricatures de Mahomet ». Un journal danois a publié en 2005 des caricatures du prophète Mahomet, provoquant une vague d’indignation dans le monde musulman. Pour manifester leur soutien, plusieurs journaux ont repris en France ces caricatures. Un procès s’ensuivit réaffirmant le droit le plus absolu à la caricature. Pour autant, sur le plan religieux et moral, on peut comprendre que la représentation du prophète, interdite par l’Islam, ait pu provoquer l’indignation, tout comme certains catholiques peuvent être heurtés par une représentation du pape qui le tourne en dérision et le ridiculise. 3  De la même façon, il y a un certain nombre de sujets tabous : Peut-on rire du handicap ? Peut-on rire d’une blague raciste ou    misogyne ?

        

        

         En fait, Pierre Desproges a répondu de façon assez définitive à la question : on peut rire de tout, mais pas avec n’importe qui. Il s’agit, d’abord, de l’interlocuteur : l’humour, l’ironie ne sont pas appréciés de la même manière selon les personnes : ce qui fait rire l’un peut choquer l’autre. Les circonstances, aussi, sont importantes. 4… Les circonstances, aussi, sont importantes. On peut faire une blague miso­gyne ou jouer des origines ou de la couleur de peau, mais est-ce la même chose de le faire avec un macho vulgaire et un raciste  patenté ?

         Tout est affaire de contexte. Or l’humour passe aujourd’hui par la télévision. Il n’y a pas média qui soit plus « de masse » que celui-ci. C’est pourquoi l’humour pose tant de problèmes à la télévision : dès qu’un dérapage a lieu, ce sont toutes les associations de défense qui se manifestent. Même un humoriste comme Jean-Marie Bigard, dont le fonds de commerce est la sexualité, peine à passer à la télévision à une heure de grande écoute. 5… La conséquence la plus immédiate est que le rire télévisuel est de plus en plus consensuel et qu’il s’attaque, finalement, à ce qui fera le moins de remous aujourd’hui : le pouvoir politique.

 

 

        

         Il existe donc aujourd’hui une forme d’autocensure liée aux modes de diffusion du rire dans les médias de masse. Devant s’adresser à tout le monde, le rire est lissé et purgé de toutes ses aspérités. On peut rire de tout, le cas extrême des caricatures de Mahomet le rappelle, mais on ne le fait plus vraiment sous la dictature du « politiquement correct ».

 

 

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