Synthèse : rire et liberté/Censure

LA SYNTHESE DE DOCUMENTS

 

CORPUS

 

  1. P. SlANKOWSKI, « Peut-on rire de tout ? », Label France, n° 56, 2004.     .

 

  1. J.-G. fredet, « Gaspard Proust : Rire sans frontière », Le Nouvel Observateur, 14 au
    14 avril 2010.

 

  1. V. BROCARD, « Stéphane Guillon ou l’humour du risque », Télérama, 31 décembre
    2008.

 

  1. Plantu, Bonne année 2009 sur plantu.fr.

 

 

 Document 1 : Pierre siankowski, « Peut-on rire de tout ? », Label France, n° 56, 2004

 

            A la question : « Peut-on rire de tout ? », l’humoriste français Pierre Desproges répondait, de façon presque définitive : « On peut rire de tout, oui, mais pas avec n’importe qui. » La question, qui fleure bon la dissertation de philosophie, est régu­lièrement posée dans le débat public français, et les histoires les «moins drôles » provoquent parfois des poursuites judiciaires.

            Si la législation française est plutôt tolérante vis-à-vis de l’humour, qui jouit comme toute forme artistique de la primauté donnée à la « liberté d’expression » dans la Consti­tution, encore faut-il pouvoir justifier qu’il s’agit bien toujours de cela lorsque l’on s’aven­ture sur un terrain glissant, au risque d’être accusé d’« injure » ou de « diffamation ».

« On peut rire de tout, oui, mais à condition d’être drôle », pourrait-on dire. L’enjeu est là, et il est de taille. Car, à l’heure des tensions identitaires, de la judiciarisation de la société et du triomphe du « politiquement correct » — qui a notamment le mérite de sensibiliser l’opinion au problème des discriminations —, l’humour, comme toute autre forme d’ex­pression, est soumis à de fortes pressions.

            Rire, est-ce forcément se moquer, mettre à l’index ou stigmatiser ? Le comique ne peut-il fonctionner qu’au détriment d’un autre sur le modèle du fameux gag de la « tarte à la crème » ? Juridiquement, la frontière du « drôle » et du « pas drôle » est très difficile à fixer, c’est une certitude. Ce qui fait rire les uns peut laisser froids les autres, voire les offusquer. Comme la tragédie classique, le comique doit savoir respecter des unités, de temps et de lieu : « On peut rire de tout, mais pas n’importe où et pas n’importe quand »,pourrait-on sug­gérer. Mais, outre l’importance du lieu et du climat – de tension – dans lesquels les blaguessont faites, c’est avant tout la subtilité du comique et son aura qui font la différence, qui légitiment l’humour, même le plus culotté.

            Quand Desproges singe Adolf Hitler, quand Coluche raille les policiers, quand Valérie Lemercier montre ses seins sur scène ou quand le très populaire Jamel Debbouze égratigne ouvertement Bernadette Chirac, les bornes sont peut-être franchies, d’un strict point de vue juridique, mais tout le monde rit avec eux. Question de talent ? Question surtout d’intention, car ces humoristes sont à la recherche permanente d’une forme d’humour universelle et partageuse. Parfois très acides et adeptes du flirt avec les limites, des artistescomme Coluche ou Desproges ont toujours réussi à se protéger en concevant peut-être le rire comme un     « vouloir rire ensemble », une expression qui les aurait sans doute fait sursauter. Mais celle-ci résume pourtant bien une envie de ne pas exclure, de considérer l’humour comme un acte rassembleur, que la loi respecte alors au plus haut point. Car, c’est sûr, lorsqu’il est déclenché pour tous, le rire protège de tout et de tout le monde. « On peut rire de tout, mais à condition que tout le monde rie », serait alors un élément de réponse, mais qui n’aurait certainement pas plu à Pierre Desproges.

 

 

 Document 2 : Jean-Gabriel fredet, « Gaspard Proust : Rire sans frontière », Le NouvelObservateur, 14 au 14 avril 2010

 

            Un humoriste peut-il tout dire sans se soucier des réactions du    public ? C’est le credo de cevirtuose de l’humour noir, mi-suisse, mi-slovene, qui était, il y a trois ans, gestionnaire de for­tune. L’humour, Paris ? « Un peu par défaut », explique ce trentenaire au physique de jeune premier produit par Ruquier qui dilacère1 sans tabous car « la scène donne tous les droits ». Odieux, désespéré. Ou notre semblable, notre frère- ?

 

            Pour avoir parlé d’un « beauf à gourmette avec sa pute à frange », on vous classe humoriste politique, ultraradical…

 

            C’est très réducteur. Je ne parle pas de politique dans le spectacle. L’allusion à Sarkozy ? Ce sont les spectateurs qui font le lien. C’est ce que voit le personnage que je joue. D’ailleurs, en comparaison d’Angela Merkel et de son compagnon, Sarko et Carla forment le couple le plus sexy du monde.

 

            La gauche, la sexualité, les vieux, les handicapés, les femmes, les ouvreuses ou leséclairagistes « forcément CGT» de votre spectacle, vous n’épargnez personne…

 

            Mon personnage est un cartésien désabusé. Plus observateur de la réalité que cynique. Sans jugement moral. Sa vision de la vie est glauque ? Elle reflète la réalité avec une dose de sophisme2. C’est un point de vue sur le monde avec zapping et une once d’autobiographie : comme mon personnage, j’ai une propension au tragique et je n’aime ni les happy ends ni les bien-pensants. C’est un parti pris. Je n’ai pas à le justifier. Mais il n’y a aucune volonté de choquer. Mes digressions sur la maladie ? Tourner en dérision le dramatique est une manière de faire un bras d’honneur à la mort, de lui dire « tu ne nous auras pas ». Je ne cherche pas à convaincre. L’humoriste ne doit pas se restreindre. Le public prend ou pas.

 

            Certains rient à gorge déployée, d’autres rient jaune… C’est quoi un spectacle réussi ?

 

            C’est quand il y a du rythme et que quelque chose se passe avec la salle. Mon spectacle n’est pas fédérateur ni le public homogène : l’applaudimètre n’est pas un critère.

 

            Certains rient, d’autres grincent. Mais on sent intérieurement quand ça marche. Parfois la salle serégale et je me dis : «J’ai été     mauvais ». Parfois la salle n’est pas super mais je sais que j’ai réussi à faire passer quelque chose.

 

            Pierre Desproges disait : « On peut rire de n’importe quoi, mais pas avec n’im­porte qui. »Vous êtes d’accord ?

 

            Desproges avait emmené avec lui au théâtre son public de la radio. Il ne pouvait donc pas le choquer. Moi, c’est autre chose, je n’ai pas un public acquis. Si j’appliquais la devise de Desproges, il faudrait un questionnaire à l’entrée de la salle. Donc j’assume, je parle de tout, des juifs, des islamistes, des prêtres – j’ai longtemps voulu faire prêtre, mais j’étais trop timide pour aborder les enfants.

 

            Vos admirations, vos projets ?

 

            Dans le comique, je n’ai pas de modèle. Aller voir les autres ? Je n’ai que le lundi, jour de relâche… comme les autres. Au fond, je fais du rire un peu par lâcheté. Ce qui m’intéresse, c’est la littérature : une phrase qui ne nécessite pas une chute sanctionnée par un rire qui rassure. J’ai une nostalgie du romantisme en littérature, en musique. L’époque portait davantage. Ai-je les moyens, la capacité de travail d’écrire ? En atten­dant, je serai à Avignon pendant le Festival et à l’Européen à la rentrée.

 

  1. Met en pièces.

2.Raisonnement apparemment valide, mais au fond destiné à tromper ou de mauvaise foi.

 

 

 Document 3 : Véronique brocard, « Stéphane Guillon ou l’humour du risque », Télérama, 31 décembre 2008

 

            II est une heure où « Dark Vanneur » se transforme en Droopy. A 7 h 55, Stéphane Guillon, énergique et véhément, entame la lecture de sa chronique noire et corrosive. A 8 h 30, l’humoriste de France Inter, qui fait part de son Humeur – mauvaise, sarcastique et souvent drôlissime – , est paisible, légèrement absent : celui qui a choisi le côté obscur de l’humour vient d’être victime d’une chute d’adrénaline. Le vide après le trop-plein ; le calme après le stress. L’exercice auquel il se soumet depuis un an est en effet un gros mangeur de calories. La peur de se ramasser en direct, l’obligation de faire rire, celle d’être à la hauteur de sa réputation, qui grandit de mois en mois.

            En quatre minutes à l’antenne chaque matin, il déclenche un vent de stupeur, des grincements de dents et des éclats de rire. « Cela me demande beaucoup de travail, d’autant que je suis un laborieux. Quand je m’en sors bien, je mets cinq ou six heures. Je me souviens d’un jour où j’ai commencé le dimanche à 9 heures et je n’avais pas fini le len­demain matin. Je me suis dit que j’allais devenir fou. »

                        Un gros travail donc pour éplucher la presse, trouver le sujet « lié à l’actu que les Fran­çais ont dans la tête », armer sa plume. Tout y passe. Les SDF et les surgelés, Christine Boutin et « l’idée la plus conne de   l’année », la réforme de l’audiovisuel, le méli-mélo socia­liste, « sœur Ségolene arrivant dans sa Ségomobile, ses fidèles massés devant la Maison de la radio dans la ferveur et le recueillement ». Un grand moment. Il y en a d’autres.

 

 

            Stéphane Guillon, qui a fait ses débuts au Fou du roi en 2003, a trouvé son style et sa vitesse de croisière tendance quarantièmes rugissants. Il plonge là où il ne faut pas aller, brasse des mots comme autant de coups de palmes, moquant (généralement) les hommes et les femmes politiques. « J’évite de les croiser. Je refuse les mondanités. Je ne veux ni sym­pathiser ni justifier mon travail. » Une précaution antiporosité qui le fait quitter le studio sitôt commis son forfait comique. On le lui reproche, il s’en fout, comme il se fout des effets retours. Ni le président de Radio France ni le directeur de France Inter ne lui par­lent des coups de fil agacés. Ils ne lui donnent pas non plus de consignes ou d’interdits.

            Protégé et libre, certes, mais seul devant le micro, attendu sans complaisance par plus d’un million six cent soixante mille auditeurs. Ces derniers ont d’ailleurs intérêt à être bien réveillés. Ecouter Stéphane Guillon impose une certaine préparation. Le second degré est un humour qui s’avale l’estomac plein. « Souvent, ils prennent tout au premier degré », constate ce faux cynique en faisant sienne cette injonction de Jean-Louis Fournier, le com­plice de Pierre Desproges : « II faut oser, il est important d’essayer. »

  

                     Janvier Prévision de croissance à la baisse

    SYNTHÈSE         [40 points]

Vous réaliserez une synthèse objective, concise et ordonnée des documents.

    ÉCRITURE PERSONNELLE       [20 points]

Selon vous, peut-on rire de tout ?

Vous répondrez à cette question d’une façon argumentée en vous appuyant sur les docu­ments du corpus, vos lectures de l’année et vos connaissances personnelles.

 

 

 

  • LA SYNTHESE

 

                        Depuis une trentaine d’années, il n’y a plus aucune provocation que les humoristes n’aient tentée. La garantie de la liberté d’expression, la disparition de la censure, la mul­tiplication des médias a permis à tous les rires de s’exprimer.

            Le corpus confirme cet état du rire satirique en France : de Gaspard Proust à Stéphane Guillon en passant par Plantu, on peut rire de tout.   Pourtant, des difficultés persistent : le rire, comme toute parole publique, peut choquer. Dans un article publié dans le maga­zine Label France, Pierre Siankowski rappelle les limites juridiques, mais aussi celles dic­tées par le goût du public.

            On peut donc s’interroger sur cette liberté apparente : le rire satirique est-il vraiment libre en France ?

Après avoir montré qu’en apparence le rire pouvait s’exprimer tout à fait librement, nous verrons qu’il existe néanmoins des obstacles qu’il contourne.

 

 

            Retrouver dans les textes du corpus, des arguments qui viennent illustrer les axes de réflexion présentés ci-dessous.

 

            I. Apparemment, le rire est totalement libre en France

 

  1. Le rire et la critique sont libres en France

 

           

  1. Tous les sujets peuvent être abordés

 

           

            II. Pour autant, malgré la liberté, il existe des obstacles que le rire contourne

 

      ALes humoristes testent les limites

 

 

  1. Emporter l’adhésion du public

 

         

            Le rire est libre en France, pourvu qu’il ne verse pas dans l’injure et la diffamation. Dans ces conditions, le public reste le plus souvent le seul juge même si les humoristes peuvent aussi le prendre à parti pour le déstabiliser. Cela pourrait bien être l’ultime preuve de la vivacité du rire en France : la tolérance du public à son égard lorsqu’il dérange.

 

 

 

 

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